Histoire
L’empilement de holdings, parfois également surnommé « holdings en cascade », « poupées russes » ou encore « poulies bretonnes », est un type de montage financier en LBO (Leveraged Buy-Out) ayant permis à de nombreux entrepreneurs et investisseurs de bâtir de véritables empires avec un apport personnel limité. Nous devons cette innovation financière à Antoine Bernheim, associé-gérant de la Banque Lazard qui joua un rôle crucial dans l’émergence des fortunes de Vincent Bolloré (Vivendi, Bolloré…), Bernard Arnault (LVMH) ou encore François Pinault (Kering).
Cependant, ce type de structure financière peut s’avérer être destructeur si les conditions macroéconomiques et une gestion prudente ne sont pas réunies. L’exemple récent le plus édifiants est celui de Jean-Charles Naouri qui a subi de plein fouet les conséquences de la déchéance de Casino. Ce cas interroge également sur la pérennité de ce genre de montage.
Principes et fonctionnement
La question des « holdings en cascade » est un sujet éminemment complexe au vu de la complexité et de l’opacité qui règne autour de ces montages. C’est pourquoi je vais tâcher de rester succinct et clair afin que les principaux concepts abordés restent compréhensibles y compris par les non-initiés. J’utiliserai ainsi un exemple et un schéma afin d’illustrer mes propos.
Admettons qu’un entrepreneur souhaite reprendre une société X valorisée 1 million d’euros mais qu’il n’ait pas les fonds suffisants (y compris en ayant recours de l’endettement) ou qu’il souhaite simplement réduire son apport, il pourrait alors faire appel à des investisseurs tiers. Toutefois, il serait seulement un actionnaire minoritaire et ne contrôlerait donc pas la société acquise. C’est là qu’interviennent alors les holdings qui présentent de nombreux intérêts : elles permettent de limiter le risque à la société créée, d’amplifier l’effet de levier (et donc de réduire le besoin en capital) grâce à leur multiplication tout en permettant de prendre le contrôle de la société avec un apport restreint. Ainsi, dans notre exemple, la société vaut 1 million d’euros, en créant une holding (H1) à ce niveau, il est possible d’emprunter 490 000 euros (l’équivalent de 49% du capital de la société acquise) auprès de la banque. Toutefois, il reste encore 510 000 euros à trouver mais le ou les actionnaires ne doivent pas être majoritaires. On limite alors leur apport à hauteur de 250 000 euros (25% du capital). Il reste encore 260 000 euros à trouver qui proviendront d’une seconde société holding (H2). On répète alors le même schéma que pour la holding H1 avec cette nouvelle holding. La banque pourra donc apporter 127 400 euros (49% du capital), les investisseurs tiers, minoritaires, apporteront 65 000 (25%) euros tandis que notre entrepreneur, avec seulement 67 600 euros, sera actionnaire majoritaire de la holding 2 avec près de 26% du capital. L’entrepreneur, avec 67 600 euros de capital, sera donc l’actionnaire le plus important de la holding 2, elle-même actionnaire majoritaire de la holding 1 contrôlant la société X. Nous venons de voir que la dette joue un rôle prépondérant dans ce système puisque les holdings ainsi constituées sont fortement endettées, il faut donc rembourser ces dettes. Les dividendes seront alors utilisés pour rembourser ces emprunts. C’est là qu’intervient un autre outil important : le régime fiscal mère-fille.
En effet, cette option fiscale permet en effet aux sociétés mères de bénéficier d’une exonération d’impôt sur les sociétés sur les dividendes reçus de ses filiales. Néanmoins, une quote-part de frais et charges correspondant à 5% des dividendes reçus devra être réintégrée dans le résultat fiscal de la société mère. Pour bénéficier de ce régime fiscal, la société mère doit détenir au moins 5% du capital social de sa filiale et les titres détenus doivent être conservés pendant au moins 2 ans. Les dettes des holdings seront ainsi remboursées par les dividendes versés par la société acquise. De plus, les intérêts payés dans le cadre d’un emprunt sont déductibles du résultat fiscal ce qui permet de réduire les impôts à payer de la holding (voir de les annuler). La société peut alors verser des dividendes à la holding suivante qui utilisera les mêmes mécanismes afin de rembourser sa dette. Les holdings vont ainsi progressivement se désendetter.
Risques
Bien que ce système puisse paraître relativement efficace, il comporte de nombreuses limites qu’il est important d’identifier. Tout d’abord, ce type de montage ne peut s’effectuer que dans un contexte de taux bas afin que les intérêts ne soient pas écrasants. De plus, il faut avoir confiance dans la capacité de la société acquise à verser des dividendes de façon régulière afin d’être en mesure de rembourser les dettes. En cas de défaut ou de difficultés financières à un niveau, le risque peut remonter ou descendre dans la chaîne, affectant alors d’autres entités du groupe. De tels montages financiers peuvent également décourager des potentiels investisseurs et créanciers au vu de leur opacité et de l’endettement conséquent. Les différents coûts de fonctionnement de ces structures (au niveau juridique et fiscal) peuvent également être importants. Enfin, les autorités fiscales peuvent juger qu’il y a abus de droit si les elles considèrent que la mise en place de ces structures n’est motivée que par l’optimisation fiscale et ainsi réclamer des redressements fiscaux pouvant mettre en péril le fonctionnement de ces sociétés.
L’un des exemples les plus édifiants des limites de ce système est celui de Jean-Charles Naouri, ancien PDG déchu du groupe Casino.
L’exemple de Casino
Casino, au cours des années, avait misé sur une stratégie de croissance externe ambitieuse en rachetant diverses sociétés spécialisées dans la grande distribution à travers le globe avec un recours massif à la dette. Cependant, cette expansion tous azimuts s’est faite au détriment de la stratégie à long terme du groupe tout en devant faire face à un marché en proie à de nombreuses difficultés. Pour ne rien arranger, le conseil d’administration de Casino a trop souvent privilégie l’intérêt de son actionnaire Rallye (qui faisait partie des holdings du montage de Jean-Charles Naouri) au détriment de l’intérêt social du distributeur. Les difficultés de Casino à rembourser ses dettes et à verser des dividendes a non seulement entraîner sa chute, mais a également emporter avec elle les différentes holdings liées à Jean-Charles Naouri qui se retrouvaient dans l’incapacité de rembourser leurs propres dettes.
Bien que les montages financiers semblaient bien rôdés, la mauvaise gestion opérationnelle de Casino a causé sa chute.
Schéma explicatif de l'empilement de holdings
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